Défense de l'Europe : Cinq ardentes obligations
EuroDéfense, qui développe l’esprit de défense européen, préconise cinq obligations pour renforcer les coopérations européennes dans le domaine de l'armement et stimuler la création de champions européens : prioriser les priorités ; favoriser l'autonomie stratégique européenne ; stimuler l'industrie européenne de la défense ; améliorer la gouvernance ; résoudre le financement.
Par Ralph Thiele, président d’EuroDefense-Deutschland et Denis Verret, vice-président d’EuroDéfense-France, co-animateurs du groupe de travail dédié à la relation franco-allemande de défense
Publié dans La Tribune, rubrique OPINIONS, le 26 juin 2025 —-> Cliquez ici .
Le Conseil européen vient de lancer une sixième vague de onze projets de Coopération Structurée Permanente (PSC-PESCO), portant leur total à 75. Le FED (Fonds européen de défense) finance depuis sa création plus d’une centaine de projets de développement de capacité.
1- Prioriser les priorités
Alors que le Livre blanc pour l'avenir de la défense européenne a identifié sept lacunes capacitaires critiques, une lecture détaillée de la liste en révèle en réalité deux fois plus, sans mentionner d’ailleurs de priorité dans le domaine naval. Ces initiatives sont utiles pour guider les États membres vers des acquisitions conjointes et des coopérations et pourraient bénéficier d'un financement non seulement du FED, mais aussi d’ASAP (Act in Support of Ammunition Production), d’EDIRPA (European Defense Industry Reinforcement through common Procurement Act) et, bientôt, de SAFE (Security Action For Europe) ou d’EDIP (European Defense Industry Programme).
Compte tenu du manque d'intérêt manifeste des États-Unis pour un engagement continu en Europe, les États membres doivent tout mettre en œuvre pour combler rapidement les lacunes les plus critiques dans leurs contextes nationaux, otaniens et européens respectifs. Ils doivent être plus sélectifs dans leur priorisation, en tenant compte également des urgences ukrainiennes.
Combien coûterait et combien de temps faudrait-il pour nous équiper ainsi que des partenaires tels que l’Ukraine en récepteurs de données satellitaires (telles que celles d’One Web) non dépendantes du feu vert américain ? Quel « ramp-up » (montée en cadence) de production serait-il atteignable et combien cela coûterait-il pour nous livrer en masse des systèmes sol-air très courte portée (dont les fusées anti-drones), courte et moyenne portée d’origine européenne, tout en équipant l’Ukraine avec ce type d’équipement pour se défendre elle-même.
Toutes ces priorités capacitaires devraient faire l'objet d'acquisitions conjointes et/ou de projets en coopération, notamment avec l'Ukraine. Elles permettraient de répondre à nos propres besoins face aux menaces russes persistantes, tout en soutenant l'Ukraine dans ses efforts de défense.
2- Favoriser l'autonomie stratégique européenne
Le monitoring de la mise en œuvre des clauses d’éligibilité que nous adoptons pour nos nouveaux dispositifs SAFE / EDIP doit-être très strict. L’extension de ces dispositifs à des pays tiers (« like-minded ») est hautement souhaitable mais devrait être conditionnée à leur adhésion à l’objectif de préférence européenne et à leur apport financier à due proportion de leur participation aux dits projets.
La constitution nécessaire de stocks stratégiques d'équipements (et de pièces de rechanges) justifierait de mettre en place un mécanisme de type avance remboursable qui permettrait aux industriels de financer et couvrir le risque d’approvisionnements long cycle en amont. Le nerf de la guerre, ce sont les commandes. Leurs promesses sont élevées, leurs mises en œuvre parfois en panne.
3- Stimuler l'industrie européenne de la défense
C’est l’angle mort chronique de la Commission : se sentant fondée en droit à intervenir au nom de la compétition intra-européenne, elle persiste à négliger l’échelle mondiale de la compétition. Elle ne conçoit une politique européenne industrielle de la défense que par la demande sans aborder son volet offre. Elle ignore ostensiblement le mot d’ordre principal du Rapport Draghi : la nécessité pour l’Europe de disposer de champions de taille mondiale notamment dans la défense et de consolider son industrie de défense pour atteindre cette échelle critique.
Les recettes qui ont permis notamment les succès d’Airbus et de MBDA doivent être respectées : volontés étatiques et industrielles partagées ; innovation au service du marché ; consolidation de la demande par les programmes en coopération et les achats conjoints et consolidation correspondante de l’offre ; intégration ; compétitivité de la chaine d’approvisionnement ; exportation. Le FED doit prendre en compte sa mission de renforcer les points forts européens et mieux assumer sa faculté de mettre en place des contrats directs, plutôt que disperser et dupliquer les compétences.
La chaine européenne d’approvisionnement, pour être durablement compétitive doit se dégager des filières nationales. Les achats groupés et pas seulement les programmes en coopération doivent favoriser la création de nouveaux sites industriels et contribuer au « ramp-up » capacitaire y compris de la supply chain.
Le 13 avril dernière, grande première, le Commissaire Kubilius justement l’a enfin admis : « Comment nos entreprises de défense peuvent-elles être compétitives à l’échelle globale ? Ne soyons pas effrayés de gagner en taille et de consolider. Nous devons établir un bon équilibre entre construire des champions et conserver l’espace voulu pour les petites entreprises et les startups ». Mais nous devons voir plus que des mots de la part de la Commission.
4- Améliorer la gouvernance
Les États membres doivent mieux définir le rôle de la Commission, sinon, l’inefficacité collective est garantie ! Ce qui est d’autant plus grave, que le mot d’ordre indiscutable est de dépenser plus et mieux ensemble. La Commission a un rôle incitatif à jouer à cet égard ; elle peut aussi avoir - et l’a en partie démontré avec ReArm - un rôle à jouer pour imaginer des solutions de financement à la hauteur des enjeux.
Si les États membres conviennent qu’une infrastructure commune sera techniquement et financièrement mieux investie à 27, la Commission peut avoir un rôle de catalyseur. Mais elle n’a pas à se substituer aux États membres en matière de priorisation capacitaire de leurs forces armées ni en termes d’exportation. Il est grave que la Commission s’emploie - mais sans succès - à remettre en cause les certificats de non réexportation, pièce maitresse de tout système de contrôle de l’exportation. Mais il revient aux États membres de mieux employer les outils de préparation des coopérations dont est chargée l’AED (Agence européenne de défense) et de conduite des programmes par l’OCCAR (Organisation Conjointe de Coopération en matière d’Armement).
Dès lors que ce sont les États-membres eux-mêmes qui ont dévitalisé l’AED, un « reset » franco-allemand pourrait servir d’exemple sur le futur emploi de l’AED : les recommandations seraient proposées au Conseil européen. L’AED devrait être notamment chargée de produire de toute urgence un catalogue des solutions capacitaires « à portée de main », existantes ou en préparation, de sorte que nul n’en ignore ou ne prétende plus ignorer.
La Directive de 2009 qui doit être révisée en 2026 devrait renforcer les mécanismes de marché européen de défense, pour corriger les dérives actuelles des instances nationales d’acquisition d’armement que ce soit la préférence nationale, la préférence américaine, ou pour des options non européennes, mais trop rarement la préférence européenne. Nos deux pays pourraient aussi proposer au Conseil européen de confier à la Haute Représentante et au Commissaire à la Défense et à l’Espace, un rôle de type « ombudsman » (médiateur), pour alerter toutes les parties prenantes sur les manquements manifestes de certains États membres à leurs engagements de bonne conduite en « dépensant plus, mieux et mieux ensemble ».
Une dimension parallèle essentielle et opérationnelle à la gouvernance des questions de défense au sein de l’Union européenne est celle de la gouvernance de la coalition des volontaires en préparation. Quelle organisation en termes politique et de commandement à mettre en place entre les pays déterminés à apporter à l’Ukraine des garanties de sécurité après un cessez-le-feu et à refonder la sécurité collective du continent, compte tenu du retrait éventuel des États-Unis de Trump de l’OTAN, partiel voire davantage ?
Le périmètre des États volontaires ne coïncide évidemment pas avec celui de l’UE. Idéalement, il devrait comporter tous les États-membres non états-uniens de l’OTAN, voire des pays partenaires stratégiques de l’Asie-Pacifique, pour qui la refonte de la défense collective de notre continent serait considérée comme un élément essentiel de leur propre sécurité. Ce périmètre ne comportera probablement qu’une partie d’entre eux, mais la clarification de la gouvernance de cette coalition est une condition clé de l’efficacité et de la crédibilité de sa force de dissuasion et de réassurance…
5- Résoudre le financement
La question du financement est quasiment encore entièrement devant nous ! Il y a consensus sur l’énormité et l’urgence des besoins et déjà le chiffre de 3,5 % du PIB est en train de s’imposer comme nouvelle référence, convertie éventuellement en 5 % en rajoutant les infrastructures indispensables à la mobilité européenne et à double usage par nature. 3,5% depuis 2%, cela représente une augmentation annuelle des budgets européens de défense de l’ordre de 250 milliards d’euros par an, soit 1000 milliards sur 4 ans, même si la montée vers les 3,5 % ne peut être instantanée, tout en devant s’effectuer le plus vite possible,
La Russie dépasse les 9% et égale l’ensemble des efforts européens actuels en parité de pouvoir d’achat et compte augmenter son effort. Si on se réfère aux 150 milliards de SAFE, qui sont un bon début, répartis sur 4 ans, cela représente un financement supplémentaire de 37,5 milliards /an, soit moins de 15% de l’effort voulu. Les apports des Fonds de Cohésion, de la BEI (Banque européenne d’investissement), constituent des appoints bienvenus mais toujours « très, très » éloignés de l’échelle.
C’est pourquoi, la remarque du Chancelier Merz à Bruxelles, 2 jours après son élection ne doit surtout pas être sous-estimée, « n’excluant pas le recours aux Eurobonds », déclarant que « seules des circonstances exceptionnelles, telles que la COVID, pourraient justifier d’y recourir de nouveau ». La guerre de Poutine en Europe et le désengagement de Trump constituent des circonstances exceptionnelles ! A noter que 300 milliards des 750 des Eurobonds COVID ne seraient pas affectés. Réaffectés à la défense, ils ne suffiraient encore pas, mais contribueraient substantiellement : une émission complémentaire de l’ordre de 500 milliards d’Eurobonds sur 4 ans serait cohérente.
A défaut, l’équipement nécessaire des forces en Europe pourrait subir un décrochage capacitaire des pays les plus endettés par rapport aux moins endettés, ce qui fragiliserait tout l’édifice, en premier lieu sa crédibilité militaire de dissuasion conventionnelle, voire la soutenabilité politique de l’effort des pays les moins endettés.
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