La sécurité des approvisionnements énergétiques,
levier de la politique européenne de sécurité et de défense ?
Par Viviane du Castel - juin 2014.
L’Union européenne (UE) est placée face à de nouveaux enjeux stratégiques auxquels Bruxelles se doit d’apporter une réponse pragmatique, équitable et transparente pour les vingt-huit États membres. Il en va de la crédibilité de sa puissance géoéconomique et géopolitique. La sécurisation des approvisionnements stratégiques est intrinsèquement liée aux politiques de transition énergétique envisagées par les différents États.
Les problématiques énergétiques sont de plus en plus perçues comme des enjeux et des défis à relever pour Bruxelles en créant notamment différents types de partenariats afin de répondre aux impératifs liés à la mondialisation. Ils sont à rapprocher de la « Stratégie européenne de sécurité » (2003) qui est un concept de partenariat stratégique envisagé comme un instrument de politique étrangère avec l’ensemble des pays émergents »[1]. Il consiste à accroître le nombre de fournisseurs et les routes d’approvisionnements. Les États qui veulent participer à cette nouvelle stratégie doivent répondre à des critères bien précis afin d’être considérés comme stratégiques : avoir une approche globale, une notion de réciprocité en y incluant des valeurs et des objectifs mutuels, orientés vers le long terme[2]. Dans ce contexte, la sécurité des approvisionnements énergétiques peut-elle devenir un levier de la politique européenne de sécurité et de défense ?
Au lendemain de la libéralisation du marché de l’énergie, les problématiques de l’UE sont doubles : manque d’interconnectivité des infrastructures entre les États membres ; fragmentation des marchés du gaz et de l’électricité ; le rapport Monti[3] précise qu’un investissement de mille milliards d’euros est nécessaire afin de développer l’interconnectivité européenne. Il est donc nécessaire d’accroître les engagements des États membres et d’homogénéiser les cadres réglementaires. C’est dans ce contexte que s’inscrit le programme « Energie 2020 » dont le but est de « réduire la consommation d’énergie de 20% d’ici 2020 et élever à 10% la part des biocarburants dans la consommation des véhicules »[4]. Dès lors, la nouvelle ligne stratégique de l’Union européenne repose sur six axes majeurs[5] : « infléchir la tendance à la consommation croissante en gaz[6] ; réviser périodiquement en toute transparence nos besoins en gaz et construire les infrastructures nécessaires à la solidarité[7] ; se donner les moyens de conclure des partenariats énergétiques avec les trois régions productrices qui bordent l’Europe : Russie et Afrique du Nord dans un premier temps, Moyen-Orient ultérieurement ; développer les partenariats entre les opérateurs de l’amont et de l’aval ; lancer une réflexion sur la mise en place et la coordination des stocks européens autour d’un programme pluriannuel allongeant progressivement la durée des stocks nationaux ; établir des normes minimales destinées à sécuriser les approvisionnements pour les autorisations de fourniture ».
Ainsi, l’Union européenne se doit donc de relever un défi endogène qui repose sur son manque de leadership et sur le poids des grands États ; il conviendrait, dans le même temps, que Bruxelles développe davantage la solidarité européenne[8]. Dans ces conditions, trois scénarios d’occurrence apparaissent[9] :
- « Innovation et énergie : mise en application de la stratégie « Energie 2020 » où les énergies renouvelables n’atteindront pas les objectifs avant 2050 ; un affranchissement de l’UE de la tutelle des États ; l’établissement d’accords avec l’UE pour déterminer la place des énergies vertes et une tarification commune.
- Nouvelles sources d’approvisionnements : avec une diversification par voie d’approvisionnement, par type de fournisseur et par type d’énergie.
- La stratégie et son avenir : disponibilité des stocks stratégiques ; nouvelles techniques : stations de transfert d’énergie par pompage (STEP), cavités souterraine (CAES), batteries Nas ».
L’Union européenne, en février 2013, est parvenue à un accord relatif à la sécurisation des activités pétrolières et gazières offshore, et a alors instaurée « des conditions minimales de sécurité et de nouvelles procédures applicables à l’ensemble des installations existantes et futures »[10]. L’objectif prioritaire de la politique étrangère de l’Union européenne repose sur la sécurité énergétique[11] :
- « diversification des sources d’énergie. Le but ainsi visé est « d’éviter les problèmes de rupture d’une source d’approvisionnement déterminée pour qu’ils ne dégénèrent pas en une crise touchant l’ensemble de l’UE » ;
- développement du « corridor sud », dont le but est « d’acheminer par gazoduc en passant par la Turquie, le gaz du bassin de la Caspienne dans une partie de l’Europe qui ne dépend quasiment, pour son approvisionnement, que d’un seul fournisseur monopolistique (…) ». Le bouquet énergétique devra comprendre une part importante d’énergies renouvelables afin de diminuer la dépendance aux fournisseurs traditionnels et accroître les perspectives de coopération avec de nombreux pays par rapport aux technologies vertes » ;
- « soutenir la modernisation de l’approvisionnement énergétique et plus significativement des modes d’extraction, d’acheminement et d’utilisation : incidences sur la politique d’approvisionnement énergétique, « aide les producteurs à mieux utiliser à long terme leurs recettes pétrogazières en promouvant le transport et en rétablissant un climat d’investissement plus attrayant »[12] ;
- « développement important de questions énergétiques dans les relations bilatérales avec les grands producteurs : Russie, Norvège, Algérie, Qatar, Afrique occidentale et avec les grands consommateurs : Inde, Chine ».
Dans ces conditions, la sécurité européenne n’est pas seulement basée sur la défense du continent européen mais doit répondre aux défis de demain qui sont de diverses natures. L’Union européenne doit être capable de se prendre en charge, sans systématiquement bénéficier de l’aide de leur allié américain. La PESD (politique européenne de sécurité et de défense) avait, dès le départ, pour but d’instaurer une politique de gestion des crises extérieures, animée par une volonté commune d’agir ensemble, tout en disposant des instruments (civils et militaires) aux missions. Actuellement, la PESD apparaît pour l’Union européenne comme une nécessité impérieuse en raison du contexte géopolitique : nombreuses crises et instabilités géopolitiques, interconnexion entre les crises économiques et les instabilités, nécessaire gestion multipartite des crises. L’Union européenne devient un acteur stratégique de sécurité capable de répondre aux menaces internationales de tous ordres[13]. Dès lors, afin d’optimiser la sécurité des approvisionnements, sur la période 2011-2021, « l’UE s’engage à collaborer davantage avec les pays partenaires, à réduire sa consommation, à créer un marché unique de l’énergie d’ici 2015, à négocier à 27, à innover et à informer les consommateurs »[14].
La PESD doit être en mesure de répondre aux menaces d’un monde imprévisible et plus particulièrement en matière de sécurité des approvisionnements énergétiques, l’UE a mis en place une stratégie en trois points[15] : « renforcer la transparence en incitant les pays de l’Union à échanger des informations sur les accords internationaux qu’ils concluent en matière d’énergie ; faciliter la coordination des stratégies concernant les pays partenaires et définir des positions communes à défendre au sein des organisations internationales ; établir des partenariats énergétiques globaux avec les principaux pays partenaires ». A terme, la sécurité des approvisionnements énergétiques devient un levier de la PESD, tant les intérêts sont intrinsèquement liés.
[1] Il existe différentes catégories de partenariats : 10 partenariats stratégiques : Afrique du Sud, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, Inde, Japon, Mexique, Russie. Hiérarchie des partenariats : partenariat stratégique avec les États-Unis ; partenariat pivots : Russie, Chine, Brésil, Inde ; « Like-Minded » : Canada, Corée du Sud, Japon ; partenariats régionaux : Afrique du Sud, Mexique.
[2] Sébastien Santander, « Puissances émergentes : un défi pour l’Europe ? », Ellipses, Paris, 2012.
[3] José Manuel Barosso et Mario Monti, « Une nouvelle stratégie pour le marché unique au service de l’économie de la société européenne », Union européenne, 3 mai 2010.
[4] www.ec.europa.eu/energy/strategies/2010/2020_en.htm En cache - Pages similaires
[5] Christian Stoffaës, « La sécurité gazière de l’Europe- De la dépendance à l’indépendance », Centre d’analyse stratégique, Rapports et documents n°26, La Documentation française, Paris, 2010.
[6] « Economiser le gaz dans le chauffage résidentiel ; réhabiliter le recours au nucléaire pour la production d’électricité ; encadrer voire limiter l’utilisation non seulement du charbon et du pétrole mais aussi du gaz pour la production d’électricité en base ». Christian Stoffaës, « La sécurité gazière de l’Europe- De la dépendance à l’indépendance », Centre d’analyse stratégique, Rapports et documents n°26, La Documentation française, Paris, 2010.
[7] « Interconnexion transfrontalières, terminaux GNL ». Christian Stoffaës, « La sécurité gazière de l’Europe- De la dépendance à l’indépendance », Centre d’analyse stratégique, Rapports et documents n°26, La Documentation française, Paris, 2010.
[8] Lukas Macek, « L’élargissement met-il en péril le projet européen ? », La Documentation française, Paris, 2011
[9] Christian Stoffaës, « La sécurité gazière de l’Europe- De la dépendance à l’indépendance », Centre d’analyse stratégique, Rapports et documents n°26, La Documentation française, Paris, 2010.
[10] Clothilde Martin, « Les mesures prévues pour améliorer la sécurisation des opérations pétrolières et gazières en mer », Le Journal de la marine marchande, 8 mars 2013.
[11] Catherine Ashton et Günther Oettinger, « Comment libérer l’Europe de la malédiction de l’énergie », Le Figaro, 8 mars 2012.
[12] Ex.: Nigéria
[13] www.europa.eu
[14] www.europa.eu
[15] « Energie : l’importance des relations internationales », Commission européenne, Union européenne, Bruxelles, 8 septembre 2011 et « Une nouvelle stratégie en matière de sécurité énergétique », Commission européenne, Union européenne, Bruxelles, 12 novembre 2011.
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