La proposition Russe de Traité sur les garanties de Sécurité
Par Jacques Favin Lévêque, Général(2s) et Claude Roche, Vice-Président de l’Académie de l’air et de l’espace.
Le récent projet de Traité de Sécurité présenté par la Russie propose des garanties bilatérales entre la Russie et les Etats-Unis afin d’écarter définitivement la présence de l’OTAN et toute tentative d’extension de celle-ci à proximité de la Russie. Cela concerne notamment les territoires de l’ancienne Union Soviétique, pays de l’Europe de l’Est et Baltes ou pays limitrophes de la Russie. Nombre d’entre eux en effet sont devenus membres de l’OTAN, d’autres demandent l’accession à l’OTAN.
L’objectif du Président Poutine est-il de retrouver la situation géopolitique d’avant la dissolution du Pacte de Varsovie ? Peut-être, mais en tous cas, il affirme clairement son statut de puissance géostratégique à égalité avec les États-Unis dès lors que le texte n’évoque même pas l’existence de l’Union Européenne.
On a coutume de dire que la Défense est un outil à la disposition de la politique étrangère et il est assez fréquent que les Etats s’en servent pour appuyer une négociation avec un interlocuteur qu’ils mettent ainsi en position d’infériorité. Pour sa part l’Union Européenne répugne à la menace d’emploi de la force pour atteindre les objectifs politiques qu’elle se fixe. Cela tient aux fondements pacifiques de sa naissance après le 2ème conflit mondial et à une éthique liée à la nature même de la démocratie. A vrai dire, le voudrait-elle, elle ne le pourrait pas tant ses moyens sont limités et tant elle est divisée sur l’emploi de la force. En la matière l’Union Européenne ne fait peur à personne….
Aussi s’étonne-t-elle que la Russie puisse au 21ème siècle avoir, en quelque sorte, recours à la « politique de la canonnière ». On ne peut en effet manquer de voir le lien entre le spectaculaire déploiement de troupes russes à la frontière Ukrainienne et le projet de traité sur la sécurité présenté par le Président Poutine. Bien sûr, à l’époque de l’URSS, le Donbass était au cœur de son industrie de défense et un important pôle économique de tradition russophone. Mais est-ce encore le mobile de la crise ? De la part d’une Russie, qui ne répugne pas à montrer sa force pour obtenir ce qu’elle recherche, ce projet de traité révèle plus le souhait d’une négociation géopolitique qu’une volonté de reconquête territoriale.
Si l’on accepte cette interprétation, il est clair que l’armée Russe se livre à un jeu de gesticulation politico-stratégique et que l’invasion tant redoutée par les Etats-majors de l’OTAN n’aura pas lieu.
Ayons donc l’audace d’adopter cette hypothèse, quitte à choquer les planificateurs opérationnels du SHAPE et les responsables du Service Européen d’Action Extérieure qui étudient les réactions possibles à une éventuelle offensive Russe.
La question est alors d’analyser la proposition Russe et de voir comment y répondre. Mais à qui en revient l’analyse ? Tel que le projet est rédigé, la Russie s’adresse aux Etats-Unis et c’est à eux qu’il revient d’y apporter une réponse d’ouverture ou un rejet dédaigneux…
C’est pour le moins surprenant : il s’agit bien, n’est-ce pas, de la sécurité en Europe, du moins pour l’essentiel, et l’Union Européenne ne devrait-elle pas être un interlocuteur privilégié de la négociation ?
Il n’en est rien, Poutine prend soin d’ignorer l’Union Européenne en tant que telle et de considérer ses 27 Etats membres comme les vassaux des USA au sein de l’OTAN, ce qui n’est du reste pas totalement faux, car dans l’Alliance Atlantique, l’UE n’a guère le poids d’un acteur géopolitique. Or, curieusement, l’Union Européenne ne trouve à redire ni à son absence de fait en tant que telle dans l’OTAN, ni au camouflet d’une Russie qui l’ignore superbement. Elle est muette et se cache derrière les Etats-Unis, n’ayant pas réalisé que c’est notamment de sa propre sécurité qu’il s’agit.
L’UE n’a donc pas saisi la subtilité de la manœuvre du Président Poutine qui s’adresse à elle de façon subliminale et qui attend des Etats Unis une réponse qui, à ses yeux, sera aussi celle de « l’Europe » au sens le plus large, mais aussi le plus ambigu.
En fait, tout en étant porteur de l’idée d’un équilibre pour garantir la sécurité, le projet semble relativement favorable à la Russie. Celle-ci considère que l’OTAN ne doit pas s’étendre jusqu’aux lisières de sa frontière occidentale et doit cesser d’être la menace qu’elle y voit, à tort ou à raison. Dans les années 2000 l’OTAN s’était engagée bien à la légère en évoquant la vocation de l’Ukraine et de la Géorgie à entrer dans l’Alliance, ce qui, à l’évidence, serait un chiffon rouge inacceptable pour la Russie. C’est alors que celle-ci ne se contenterait pas d’une gesticulation politico-diplomatique aux frontières de l’Ukraine.
Les Etats-Unis, enkystés dans leur vision géostratégique, semblent d’ores et déjà avoir débouté Poutinede sa démarche. Et pourtant ne serait-il pas temps du moins pour l’Europe de troquer cette posture d’adversaire contre celle de partenaire stratégique ? Bien sûr le régime politique Russe est bien plus autocratique que démocratique. Et alors ? Est-ce une raison pour s’interdire un dialogue auquel chacun a intérêt ? Ne dit-on pas qu’on a toujours intérêt à discuter avec ses adversaires, ou même avec ses ennemis ? Il s’agit de la paix en Europe … Que l’Union Européenne ouvre les yeux et cesse, sous le fallacieux prétexte de la fidélité à l’OTAN, d’œuvrer contre ses intérêts stratégiques. Ceux-ci ne sont pas de suivre les Etats-Unis dans une spirale d’affrontement avec une Russie dont elle dépend notamment au plan énergétique, ni évidemment de suivre celle-ci dans une tentative de reconquête des territoires perdus. Plus cette spirale se développe, plus la Russie durcit sa position et s’envole vers une exaltation nationaliste aux parfums d’une époque que l’on croyait révolue. Il faut arrêter ce processus tragique de nouvelle guerre froide et il revient à l’Union Européenne d’en prendre l’initiative. L’UE doit faire valoir au sein de l’OTAN une souveraineté Européenne nécessaire à la paix et promouvoir, en partenariat avec les Etats-Unis, un apaisement diplomatique avec la Russie. Le dialogue et la négociation, essence même de la diplomatie, ont d’immenses vertus, dès lors il s’agit de l’équilibre entre puissances mondiales. Des relations apaisées UE-Russie, et pourquoi pas Occident-Russie, respectant la spécificité des régimes politiques de chacun, sont possibles si l’Union Européenne se comporte comme l’acteur géopolitique qu’elle prétend devenir.
Dès lors Poutine la respectera, lui qui pousse son avantage en joueur d’échec comme s’il n’avait affaire qu’à un joueur de dames. Il sait en effet que ce dernier, contrairement à lui, ne peut comprendre la complexité des possibles. Mais pire encore pour notre amour-propre d’Européen, Poutine pourrait nous considérer non pas comme un joueur de dames, mais comme un édredon…
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