Galileo et A400M : des programmes stratégiques réussis pour l’Europe
Par l’IGA (2S) Patrick Bellouard
Publié en décembre 2013 dans le numéro 101 de la Revue Engagement (Association ASAF)
Tout le monde a en tête les difficultés et les crises périodiques rencontrées par la construction européenne. Pourtant, au-delà même de son plus grand succès que constitue le maintien de la paix depuis plus de 68 ans sur un continent européen ravagé par deux guerres mondiales dans la première moitié du vingtième siècle, des progrès importants ont été réalisés en matière de coopération européenne, y compris en matière de sécurité et de défense avec des programmes tels que le système de navigation par satellite Galileo et l’avion de transport militaire A400M.
1. Galileo, un enjeu stratégique pour l’Europe
Dès fin 2016, l’Union Européenne disposera de son propre système de radionavigation par satellites, opérationnel sur l’ensemble du globe, précis, garanti et fiable, interopérable avec le système américain GPS et compatible avec le système russe GLONASS.
Première grande infrastructure européenne, Galileo assurera l’autonomie de l’Europe dans le domaine stratégique de la radionavigation et lui permettra d'être indépendante du système militaire GPS contrôlé par les Etats-Unis, non seulement dans le domaine des transports et de la navigation, mais également dans de nombreux domaines dont les échanges dépendent aujourd’hui du positionnement ou du temps GPS (banques, énergie, santé, télécommunications…), y compris en matière de sécurité et de défense. Une comparaison simple suffit pour démontrer l’enjeu économique : le montant annuel de TVA récolté en Europe sur les seuls récepteurs GPS est supérieur au coût annuel du programme Galileo depuis le début, et ce montant ne fera que croître, en particulier avec l’arrivée des services Galileo.
Premier grand programme civil associant les institutions de l’UE et l'agence spatiale européenne (ESA), le programme Galileo a connu une gestation difficile depuis son lancement en 2001. Après l’abandon du projet de concession, dont la viabilité s’est avérée illusoire, et du consortium industriel Galileo Industries, l’UE a décidé d’attribuer un financement public (3,4 G€) sur la période 2008-2013 pour terminer le développement du système et lancer son déploiement, sous maîtrise d’œuvre de l’ESA, la Commission européenne étant chargée du pilotage du programme. Récemment elle a décidé d’attribuer un financement public (6,3 G€) sur la période 2014-2020 pour terminer le déploiement du système, lancer son exploitation et renouveler son complément régional EGNOS, qui fournit des données de correction et d’intégrité du GPS et de GLONASS sur l’Europe depuis octobre 2009 et fournira à terme le même service pour Galileo.
La phase de développement et de validation en orbite, avec lancement de 2 démonstrateurs et des 4 premiers satellites de la constellation (2 en octobre 2011 et 2 en octobre 2012), s’est terminée avec succès fin octobre 2013. Les premiers contrats de la phase de déploiement (dont la commande de 22 satellites) ayant été passés début 2010 à la suite de compétitions menées par l’ESA, les deux centres de contrôle, situés en Allemagne et en Italie, et le réseau de stations sol sont maintenant opérationnels. Le centre de sécurité principal, situé en France, et le centre de sécurité secondaire, situé au Royaume Uni, sont également en place.
Le déploiement de la constellation devrait commencer mi 2014 avec un rythme d’environ 8 par an (lancement par paires par Soyouz ou par 4 par Ariane 5). Le système devrait devenir une réalité opérationnelle dès 2016. A terme, il comprendra une constellation de 30 satellites répartis à l'altitude de 23 616 km sur 3 plans inclinés à 56° par rapport à l'équateur (10 satellites dont un de secours par plan).
Quatre services distincts seront offerts par Galileo : un service ouvert gratuit et compatible avec le GPS (même récepteur) ; un service commercial payant, apportant des informations complémentaires, une meilleure précision et une garantie de service; un service public réglementé (PRS), avec un accès contrôlé par cryptage et réservé aux utilisateurs gouvernementaux exigeant une grande continuité de service, à l’instar du code militaire du GPS ; enfin une contribution SAR (Search And Rescue) au système de recherche et sauvetage COSPAS-SARSAT (interception des messages d’alerte et diffusion de messages vers les naufragés). Ces services seront complétés par EGNOS, qui fournit des données de correction et d’intégrité sur l’Europe pour la navigation aérienne.
2. Le programme A400M : une coopération réussie en cours de concrétisation
Lancé avec enthousiasme en mai 2003 et souvent cité comme modèle de la coopération européenne, le programme A400M a traversé une crise majeure dans les années 2008-2010, dont il est ressorti renforcé et restructuré, avec un calendrier plus réaliste. Cette crise a confirmé la volonté des Etats et de l’industrie de pérenniser sur le long terme un projet fédérateur pour l’Europe dans le domaine de la défense.
Répondant à un besoin européen commun exprimé par 8 nations en 1997, le programme A400M est véritablement lancé en mai 2003, avec la signature du contrat de développement et de production par l’OCCAR (Organisation conjointe de coopération en matière d’armement), chargée de la conduite du programme pour le compte de 7 nations (Allemagne, France, Espagne, Royaume-Uni, Turquie, Belgique et Luxembourg). Le projet est ambitieux, notamment au plan calendaire (6 ans pour la livraison du premier avion), et innovant, avec un contrat de développement et production (180 appareils) unique, incluant les conditions de préparation du soutien initial, et une approche « commerciale », dans laquelle le maître d’œuvre unique (en l’occurrence Airbus Military) exerce une très large responsabilité face au maître d’ouvrage (OCCAR).
Les spécifications exprimées en commun de manière réaliste en 1997, malgré le nombre de partenaires, ont permis de développer un avion de base commun, doté de quelques options nationales lorsque nécessaire, ce qui constitue un énorme progrès par rapport aux programmes en coopération précédents. Au plan technique, il a été décidé de développer l’avion selon les exigences de sécurité civiles, ce qui a facilité la qualification de l’avion, les exigences militaires étant traitées en complément de la certification civile.
Le maître d’œuvre ayant déclaré fin 2008 ne pas pouvoir tenir les exigences initiales du contrat, notamment le calendrier, une profonde remise en question du projet a eu lieu, à la suite de laquelle une renégociation du contrat a été engagée. Ceci a permis de remettre le projet sur les rails, sans remise en cause de l’essentiel des exigences techniques de l’appareil (à l’exception d’une option nationale, jugée inaccessible) ni des grands principes du contrat, mais avec un calendrier aménagé plus réaliste et des exigences nouvelles en matière de méthodes de management et de visibilité sur le déroulement des travaux au profit du client. Dans ce cadre, le nombre total d’avions commandés a été réduit à 170, l’Allemagne et la Grande-Bretagne ayant préféré réduire leur commande (à contribution financière inchangée) plutôt que d’augmenter leur contribution financière. L’avenant finalisant cette remise en ordre du programme a été signé en avril 2011.
Pendant la renégociation du contrat, les travaux ont été poursuivis. Ainsi le premier prototype a réalisé son premier vol en décembre 2009, suivi de 3 autres prototypes en 2010, ce qui a constitué un premier succès de bon augure pour le bon aboutissement du projet. En un peu plus de trois ans les 4 prototypes A400M ont réalisé plus de 4500 heures de vol. La certification civile de l’appareil a été accordée en mars 2013 et l’acceptation de type en juillet. Le premier avion A400M Atlas a été livré à la France, avec le soutien associé, début août et le second début novembre. Le lancement de la phase de soutien en service, qui sera confiée à l’OCCAR, est en cours, permettant une poursuite de la coopération sur le long terme.
Ainsi, en dépit des problèmes rencontrés, ce programme constitue une indéniable réussite de la coopération européenne : il suffit pour s’en convaincre de rappeler qu’il n’a fallu que 6,5 ans après la signature du contrat pour réaliser le premier vol A400M et 10 ans pour livrer le premier avion de série alors qu’il a fallu 10 ans aux Etats-Unis pour réaliser le premier vol prototype du C17.
3. Conclusion
Les programmes Galileo et A400M constituent des succès tangibles de la coopération européenne, l’un dans le domaine civil sous l’égide de l’UE, l’autre dans le domaine militaire via le cadre multinational de l’OCCAR. Aucun de ces deux programmes n’aurait pu voir le jour dans un cadre national, bien évidemment, ni sans la forte volonté politique de certains des partenaires de mettre en place les conditions nécessaires à la réussite de ces coopérations : harmonisation des besoins au juste niveau, abandon de la notion de juste retour au profit de la prise en compte des compétences existantes en Europe et de la compétition, responsabilisation des maîtres d’œuvre et utilisation de maîtres d’ouvrage efficaces et performants.
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