Le haro du retour de Chine
Au retour de Chine, haro sur Macron ! Comme au retour du Canada en 1967, haro sur de Gaulle, qui avait osé crier « Vive le Québec libre ! » Macron, quant à lui, a osé appeler à « l'autonomie stratégique de l'Europe », à une « Europe souveraine », dans la continuité de son discours à la Sorbonne de 2017. A l'époque, aussi ce discours avait été critiqué et avait agacé, ici et là, en Europe. Pourtant, comme Macron le rappelle dans son interview aux Echos, ce discours a porté ses fruits et, en août 2022, le chancelier allemand a donné la réponse tardive de l'Allemagne en reconnaissant l'importance de la souveraineté européenne, cela à l'université Charles de Prague.
Feu des critiques
Ce passage a particulièrement suscité le feu des critiques : « Avons-nous intérêt à une accélération sur le sujet de Taïwan ? Non. La pire des choses serait de penser que nous, Européens, devions être suivistes sur ce sujet et nous adapter au rythme américain et à une surréaction chinoise. »
Ici, Macron évoque deux initiatives américaines récentes : la visite de la présidente de la Chambre des représentants des Etats-Unis, Nancy Pelosi, à Taïwan en août 2022, et la rencontre sur le sol américain entre la présidente de Taïwan Tsai Ing-wen et le nouveau président de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, en mars dernier. Initiatives suivies à chaque fois d'une réaction chinoise consistant en des manœuvres militaires menaçantes autour de l'île de Taïwan. D'un côté, Macron parle du « rythme américain », de l'autre de la « surréaction chinoise », et il se demande si nous Européens avons intérêt à cette « accélération » de la question de Taïwan.
Il est bon de s'arrêter brièvement sur ce sujet, guère présenté par les commentateurs. En 1949, Tchang Kaï-chek, battu sur le continent par Mao-Tsé-Toung, se replie à Taipei sur l'île de Taïwan, d'où il continue à revendiquer la souveraineté sur l'ensemble de la Chine. Il occupe le siège de la Chine à l'ONU et au Conseil de sécurité jusqu'en 1971, date à laquelle ce siège revient à la République populaire de Chine, proclamée en 1949 par Mao-Tsé-Toung.
Les 13 nations toujours en relations diplomatiques avec le gouvernement de Taipei reconnaissent à travers lui la République de Chine, la très grande majorité des Etats reconnaissant la Chine à travers le gouvernement de Pékin, la France ayant été la deuxième grande nation occidentale à le faire, à l'initiative du général de Gaulle, en 1964 (le Royaume Uni l'avait fait dès 1950, en raison particulièrement de sa présence à Hong-Kong).
Plusieurs tendances dans la population à Taïwan
Après la disparition de Tchang Kaï-chek en 1975, Taïwan progressivement devient une démocratie, fondée sur des élections libres. Plusieurs tendances parcourent aujourd'hui sa population : un courant favorable à une indépendance de Taïwan ; un courant, minoritaire, favorable à une réunification de la Chine avec autonomie ; un courant favorable au statu quo.
Le statu quo signifie que Taïwan poursuit son existence de démocratie de facto indépendante, mais sans remettre en cause le principe de l'unité de la Chine. Dans ce cadre, les pays occidentaux, au premier rang desquels les Etats-Unis, mais aussi la France, entretiennent avec Taïwan des relations amicales spécialement sur le terrain économique et équipent son armée, pour qu'elle soit apte à se défendre d'une éventuelle offensive du continent.
La présidente actuelle de Taïwan vient du courant indépendantiste. La tendance favorable au statu quo et à l'unité de principe de la Chine reste toutefois puissante sur l'ile, comme l'ont montré les élections locales de novembre 2022, marquées par le succès du parti Kuomintang, qui fut celui de Tchang Kaï-chek. Des élections présidentielles vont se tenir en 2024.
Les initiatives américaines peuvent être considérées comme des encouragements au courant indépendantiste et à l'accélération d'un sujet loin d'être résolu, et dans lequel il est préférable d'éviter la simplification et la dérive guerrière.
Quant à la réaction très menaçante de Pékin, qui refuse la remise en cause du principe de l'unité de la Chine, elle correspond à une exagération condamnable, à même de laisser penser à une volonté de conquête par la force de l'île.
Ce très rapide survol historique et politique explique l'analyse de Macron. Qu'il livre celle-ci ne signifie en rien que la France, dont un navire de guerre a croisé dans le détroit de Taïwan pendant les manœuvres de Pékin, et l'Union européenne ne sont pas fondamentalement alliées des Etats-Unis, mais elle propose à l'Europe de suivre sa ligne propre, qui vise à la paix, et de garder la liberté de dire la vérité à un ami... sachant que lorsque l'on ose exprimer une telle vérité, on sera toujours critiqué sur le temps de son énonciation, quel qu'il soit...
Cyrille Schott
préfet honoraire de région
Co-auteur du livre « Souveraineté et solidarité, un défi européen » (éditions du Cerf)
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