Les 4 défis de la défense européenne
par Jean-Marc Vigilant, GDA (2s), Président d'EuroDéfense-France
La plupart des alliés européens sont encore sous le choc, partagés entre stupéfaction et déni après avoir découvert l'alignement idéologique et la communauté d'intérêts entre M. Trump et M. Poutine. Ils ont donc du mal à faire sens de la situation actuelle et à imaginer un monde sans la protection américaine.
Les États-Unis ne souhaitent plus jouer le rôle de gendarme du monde et promouvoir les valeurs démocratiques libérales. Son président ne reconnaît ni amis ni ennemis, mais seulement les forts, qu'il respecte, et les faibles, qu'il méprise.
Face à ce nouvel isolement stratégique, les Européens doivent faire preuve d'une plus grande solidarité entre eux. L'Europe n'est pas aussi faible qu'elle le croit. Dix fois plus riche que la Russie, presque aussi riche et plus peuplée que les États-Unis, elle doit retrouver sa confiance en elle et sa volonté de défendre ses intérêts, en renouant avec la puissance.
Dans ce contexte, les Européens sont confrontés à quatre défis à court, moyen et long terme :
1. Conserver la cohésion européenne
Maintenus dans l'illusion qu'ils peuvent obtenir un meilleur « deal » que leurs voisins avec le géant américain, les Européens sont davantage en concurrence entre eux, qu'avec le reste du monde. Trop confortablement installés depuis des décennies dans une dépendance excessive au leadership américain, les Européens oublient trop souvent qu'ils partagent plus d'intérêts entre eux qu'avec leur allié américain.
2. Soutenir l'Ukraine
L'Europe doit arrêter de soutenir l'Ukraine juste pour qu'elle ne perde pas, et doit s'engager résolument pour que l'agression russe en Ukraine cesse durablement. Une soi-disant superpuissance militaire comme la Russie, incapable d'écraser l'Ukraine après trois ans d'opérations spéciales et qui n'a atteint aucun de ses objectifs stratégiques, est un tigre de papier, comme l'a dit le président Trump.
Il est cependant nécessaire que la Russie subisse un maximum de pression, un ensemble de contraintes de toutes natures, y compris militaires, grâce à la coalition des volontaires qui soutiennent les forces armées ukrainiennes. C’est à cette condition qu’elle conclura que le jeu n'en vaut plus la chandelle et qu'elle mettra également fin à sa guerre hybride contre l'Europe.
3. Renforcer le pilier européen de l'OTAN
L’OTAN reste le principal outil de notre défense collective. Mais du point de vue américain, l'OTAN est avant tout le rassemblement des alliés européens, car la majorité des forces militaires américaines en Europe reste sous commandement national américain au sein de l'US EUCOM. Le même général américain commande à la fois les forces de l'Alliance en Europe (SACEUR) et les forces américaines en Europe (COM EUCOM). L'ambiguïté délibérément maintenue quant à l'appartenance des forces américaines à l'EUCOM ou à l'OTAN était rassurante pour les alliés européens et dissuasive pour les adversaires potentiels.
Cependant, face à la divergence de plus en plus évidente entre les intérêts européens et américains en Europe, les Européens doivent investir davantage dans l'OTAN, afin que l'organisation puisse fonctionner quel que soit le niveau d'engagement américain, car elle reste le principal instrument de l'intégration militaire européenne.
Le renforcement de la puissance européenne au sein de l'Alliance n'est pas un tabou aux États-Unis et devrait être organisé en bonne intelligence avec les Américains, afin de compenser progressivement leur probable désengagement d’Europe.
4. Développer une autonomie stratégique européenne
Compte tenu du sommet américano-russe qui s'est tenu cet été en Alaska, et malgré les signaux positifs récemment envoyés par le président Trump aux Européens, nous ne pouvons exclure la possibilité queles intérêts européens et américains soient si divergents que les États-Unis s'opposent à l'utilisationde l'OTAN pour défendre les intérêts européens.
En matière de défense, les Européens doivent rechercher une autonomie stratégique qui leur permetted'évaluer la situation, de décider, de s'équiper, de planifier et d'agir souverainement, pour défendre leurs intérêts à l'échelle mondiale, en toute indépendance.
À cette fin, nous devons développer une structure de commandement et de contrôle, éventuellementbasée sur un pilier européen de l'OTAN, mais qui soit détachable, sur le modèle des forces américainesen Europe. Elle pourrait, si nécessaire, être intégrée ou exclue de la chaîne de commandement de l'OTAN.
Au niveau des capacités, les Européens doivent renforcer de manière durable et indépendante leurscapacités militaires, grâce à une base industrielle et technologique européenne consolidée et plus efficace, de classe mondiale, tout en exploitant l'innovation. Cela signifie qu'il faut aligner les actions sur les paroles et cesser d'invoquer la préférence européenne tout en continuant à investir massivement dans l'achat d'armes en dehors du continent européen, alors que toute l'expertise technique et scientifique nécessaire existe en Europe. Cela signifie également éviter d'opposer les intérêts nationaux à court terme aux intérêts collectifs à long terme, ce qui nous affaiblit dans la concurrence mondiale.
Conclusion
L'histoire nous enseigne que la faiblesse est provocatrice. C'est pourquoi la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni doivent montrer la voie avec courage et détermination, afin que l’Europe unie renoue avec la puissance, pour défendre ses intérêts contre toutes formes de menaces.
Jean-Marc Vigilant - Septembre 2025
La version longue et intégrale de l'article de Jean-Marc Vigilant a été publiée en français
par la Fondation Robert SCHUMAN le 15 septembre 2025 :
https://www.robert-schuman.eu/questions-d-europe/802-les-quatre-defis-de-la-defense-europeenne